vendredi 29 mars 2013

La conscience critiquée par l'empirisme


HUME : LA CONSCIENCE COMME ENTITE EST UNE ILLUSION  D'IDENTITE

La critique la plus virulente de la saisie intuitive du moi, et du moi comme entité substantielle, est faite par Hume, dans son Traité de la nature humaine, I, IV, VI. Sa thèse est que la conscience de soi n’a rien de privilégié : elle ne nous donne pas accès à nous-mêmes. Il n’y a tout simplement rien de tel que le "moi".
Hume et les idées abstraites (15/02/12)
Hume est un philosophe écossais, né à Edinburgh en 1711 et mort en 1776. Œuvres principales : Traité de la Nature Humaine, 1739; Enquête sur l'Entendement Humain, 1748. 


L'empirisme critique du rationalisme : toute connaissance commence par l'expérience

Hume a une visée critique par rapport aux rationalistes (Descartes, Leibniz, Malebranche, etc.), pour lesquels la raison est dès la naissance, de toute éternité, bardée de principes qui lui permettent d'explorer la réalité, de la connaître; bref, de découvrir les lois de la nature sans avoir recours à l'expérience.

Pour lui, qui est empiriste, nous ne pouvons rien connaître de manière innée, avant d'avoir eu un contact avec l'expérience. Nous ne connaissons rien, si ce n'est par les sens.

L'empirisme fait quelque chose de très original : il cherche à voir comment est le monde véritablement, avant que notre esprit se soit formé sa conception de la réalité, au fil des expériences. Hume se place donc en quelque sorte du point de vue d'un enfant, qui n'a encore eu aucune expérience. Il s'agit chaque fois d'imaginer ce que verrait un esprit pur, ce qu'il induirait de ce qu'il voit, afin, évidemment, de se moquer des rationalistes.


Impressions et idées - le principe de copie

Il part des représentations de l'esprit, qui sont tout ce dont nous disposons (nous sommes immédiatement en présence de nos idées, et de rien d'autre : cf. révolution cartésienne!). Il les appelle des "perceptions". Ces perceptions se divisent en impressions et idées. Les impressions sont les données originelles de l'esprit, premières dans l'ordre chronologique; ce sont aussi nos perceptions les plus vives, les plus fortes. Nos idées sont issues (et le sont toujours) des impressions par un principe de copie. Elles s'en distinguent en ce qu'elles sont plus faibles (cf. souvenir, imagination), mais, évidemment, elles leur ressemblent.

L'empirisme humien retrace la genèse des connaissances (et même des facultés de l'esprit) : il s'agit de revenir au donné sensible originel, et de montrer que toutes les connaissances ont leur origine dans celui-ci. On pourrait donc dire que l'empirisme de Hume est une "généalogie des connaissances".

D'un autre côté, c'est aussi une entreprise critique/normative : l'empirisme sert à juger de la validité des connaissances. Dans ce cas, il se sert du principe du copie : il se demande si les idées (en général celles des philosophes rationalistes) dérivent bien d'une impression correspondante; si non, alors, il les déclare dépourvues de sens.

La critique de la métaphysique

Donc l'empirisme humien est une critique de la métaphysique : elle est pour Hume le lieu des fictions de l'imagination, des illusions substantialistes (celles de la matière, de l'âme, de Dieu). Et aussi, le lieu des faux problèmes.

Un nouveau questionnement philosophique : « la généalogie »
Il invente également une nouvelle façon de poser les problèmes philosophiques : par exemple, on ne se demande plus s'il existe des corps, mais "quelles causes nous poussent à croire à l'existence des corps"?


Hume, Traité de la nature humaine, I, IV, vi, §1 

Il y a certains philosophes qui imaginent que nous avons à tout moment la conscience intime de ce que nous appelons notre moi; et que nous sommes certains, plus que par l'évidence d'une démonstration, de son identité et de sa simplicité parfaites. La plus forte sensation et la plus violente passion, disent-ils, au lieu de nous distraire de cette vue, ne font que l'établir plus intensément; elles nous font considérer leur influence sur le moi par leur douleur ou leur plaisir. Essayer d'en fournir une preuve plus complète serait en affaiblir l'évidence ; car aucune preuve ne peut se tirer d'aucun fait nous ayons une conscience aussi intime ; et il n'y a rien dont nous puissions être certains si nous doutons de ce fait.

















   Le problème : le moi (cartésien) est-il bien une évidence ?

Une expérience immédiate et incontestable ? Hume s'oppose aux philosophies introspectives, qui prétendent qu' on peut avoir l'intuition d'un moi, et que cette intuition est tellement évidente qu'elle se passe de toute démonstration. Il traite deux problèmes :

1- en quoi le moi est-il une illusion ? (cf. critique métaphysique)

2- pourquoi formons-nous cette illusion ? (cf. perspective généalogique)


   En quoi le moi est-il une illusion ?

Fait-on réellement l'expérience de ce que les philosophes affirment?

Hume (§2) va prendre la philosophie de la conscience à son propre piège : elle prétend être fondée sur une expérience particulière, celle du "moi". Pour eux, une certaine expérience (celle de l'introspection) nous conduit à l'idée d'un "moi". Hume va essayer de montrer que l’analyse de l’expérience empêche qu’on puisse la supposer capable de constituer un "moi".

Pour cela, demandons-nous d'abord en quoi consiste cette idée.

Réponse : l’idée du "moi", c’est l’idée de quelque chose qui reste identique à travers le temps, et de quelque chose de simple

Ensuite, demandons-nous si si je peux avoir une idée du "moi", en partant de l'expérience, puisque pour Hume, une idée vraie doit avoir son origine dans une impressions correspondante ("il doit y avoir une impression qui engendre une idée réelle").

Y a-t-il des impressions susceptibles d'engendre l'idée du moi, le moi étant ce qui doute, ce qui pense, ce qui veut, etc., c’est à dire qui a des impressions?

Hume va répondre en insistant sur la nature d'une impression. Une impression, c'est l'unité insécable sur laquelle l'esprit opère. Elle est instantanée, car ne dure pas. Il n'y a pas d'impressions invariable, mais seulement des impressions discontinues et variables (qui se succèdent indéfiniment les unes aux autres)

Donc : si l'impression est sans idée, alors, elle ne peut jamais engendre l'idée d'un moi, s'il est défini comme identique à travers le temps. Ce dont on peut rendre compte dans l'expérience, c'est seulement d'une série d'impressions discontinues, il n'y a donc nulle part d'évidence d'un "moi" qui aurait des impressions.

Problème 

Il peut sembler que cette notion d’impression est très éloignée de ce dont, justement, on fait l’expérience : personne n’a le sentiment de vivre une suite d’impressions discontinues!

L'analyse ne porte pas vraiment sur l'expérience que je peux faire de moi-même, mais, sur la substantialisation du moi ; autrement dit, Hume ne fait pas de psychologie : son but n’est pas de rendre compte de ce qui est vécu, mais d’analyser les notions qui nous servent à rendre compte de notre idée du "moi", afin de proposer une analyse de la conscience qui évite de la substantialiser.





Hume, TNH, I, IV, vi, §3  
Mais en outre, quel doit être le sort de toutes nos perceptions particulières dans cette hypothèse? Elles sont toutes différentes, discernables et séparables les unes des autres; on peut les considérer séparément et elles peuvent exister séparément : elles n'ont besoin de rien pour soutenir leur existence. De quelle manière appartiennent-elles donc au moi, et comment sont-elles en connexion avec lui? Pour ma part, quand je pénètre le plus intimement dans ce que j'appelle moi, je bute toujours sur une perception particulière ou sur une autre, de chaud ou de froid, de lumière ou d'ombre, d'amour ou de haine, de douleur ou de plaisir. Je ne peux jamais me saisir, moi, en aucun moment sans une perception et je ne peux rien observer que la perception. Quand mes perceptions sont écartées pour un temps, comme par un sommeil tranquille, aussi longtemps je n'ai plus conscience de moi et on peut dire vraiment que je n'existe pas. Si toutes mes perceptions étaient supprimées par la mort et que je ne puisse ni penser, ni sentir, ni voir, ni aimer, ni haïr après la dissolution de mon corps, je serais entièrement annihilé et je ne conçois pas ce qu'il faudrait de plus pour faire de moi un parfait néant. Si quelqu'un pense, après une réflexion sérieuse et impartiale, qu'il a, de lui-même, une connaissance différente, il me faut l'avouer, je ne peux raisonner plus longtemps avec lui. Tout ce que je peux lui accorder, c'est qu'il peut être dans le vrai aussi bien que moi et que nous différons essentiellement sur ce point. Peut-être peut-il percevoir quelque chose de simple et de continu qu'il appelle lui : et pourtant je suis sûr qu'il n'y a pas en moi de pareil principe.


Argument : ce qui est saisi, quand "j'entre en moi-même", ce n’est pas le moi en tant que tel, mais telle ou telle impression.

Exemple : je perçois, non pas que mon moi a chaud, mais simplement, je prends conscience que j’ai chaud.

"Entrer en soi-même", pour Hume, c’est donc simplement prendre conscience de quelque chose, et non pas s’apercevoir que l’on est une conscience. Il n’y a pas perception d’un moi accompagnée d’une affection de ce moi, mais seulement perception d’une impression.

Ce que je perçois par introspection, ce n’est pas un moi mais un flux d’impressions qui sont discernables et donc différentes les unes des autres.

Que se passe-t-il donc quand nous n’avons aucune perception particulière?

Bien loin de ne plus avoir conscience que de notre "moi", nous n’avons plus aucune conscience. Donc, l’abscence (ou la diminution en nombre et en intensité) de toutes les impressions, équivaut au néant de la conscience. C’est pourquoi, dans le sommeil, je n’ai pas conscience de moi. (ici, Hume se moque vraiment de ce que devrait être le moi cartésien : à la limite, quelque chose qui peut exister sans aucune de ses propriétés, puisque c'est ce qui est au-delà de celles-ci, qui les rend possible, qui les retient, etc.)

Conséquence : en supprimant l’idée d’un moi, Hume est conduit à contester l’immortalité de l’âme.

   Le moi n'existe pas, c'est un théâtre


Hume, TNH, §4

Mais, si je laisse de côté quelques métaphysiciens de ce genre, je peux m'aventurer à affirmer du reste des hommes qu'ils ne sont rien qu'un faisceau ou une collection de perceptions différentes qui se succèdent les unes aux autres avec une rapidité inconcevable et qui sont dans un flux et un mouvement perpétuels. Nos yeux ne peuvent tourner dans leurs orbites sans varier nos perceptions. Notre pensée est encore plus variable que notre vue; tous nos autres sens et toutes nos autres facultés contribuent à ce changement : il n'y a pas un seul pouvoir de l'âme qui reste invariablement identique peut-être un seul moment. L'esprit est une sorte de théâtre où diverses perceptions font successivement leur apparition; elles passent, repassent, glissent sans arrêt et se mêlent en une infinie variété de conditions et de situations. Il n'y a proprement en lui ni simplicité à un moment, ni identité dans les différents moments, quelque tendance naturelle que nous puissions avoir à imaginer cette simplicité et cette identité. La comparaison du théâtre ne doit pas nous égarer. Ce sont les seules perceptions successives qui constituent l'esprit; nous n'avons pas la connaissance la plus lointaine du lieu où se représentent ces scènes ou des matériaux dont il serait constitué.


Hume en arrive alors à une nouvelle définition de la conscience, complètement débarrassée de tout subjectivisme. Que peut-elle être, une fois le moi détruit? Pour Hume, une conscience, ce n’est rien d’autre qu’une capture d'une série d’impressions. Et il insiste sur l’extrême diversité et variabilité de ces impressions.


Conclusion : le moi est un « dispositif de capture ».

Hume déplace le problème de la métaphysique à la généalogique  :

(1) nous avons bien une idée de moi, de quelque chose d'identique à travers les variations, auquel nous rapportons nos impressions, nous donnant un sentiment d'identité à l'égard de nous-mêmes.

(2) or, selon analyse de l'expérience, cette idée ne correspond à rien de réel, car jamais nous ne pouvons extirper l'impression correspondant à cette idée

Comment une série d'impressions diverses peut-elle devenir, être prise pour, un "moi"?


Hume, TNH, I, IV, vi, §5

Quelle est donc la cause qui produit en nous une aussi forte tendance à attribuer l'identité à ces perceptions successives et à admettre que nous possédons l'existence invariable et ininterrompue pendant tout le cours de notre existence? Pour répondre à cette question, nous devons distinguer l'identité personnelle en tant qu'elle touche notre pensée ou notre imagination et cette même identité en tant qu'elle touche nos passions ou l'intérêt que nous prenons à nous-mêmes. La première, c'est notre sujet actuel; pour l'expliquer parfaitement, nous devons prendre la question d'assez loin et rendre compte de l'identité que nous attribuons aux plantes et aux animaux : car il y a beaucoup d'analogie entre cette identité et celle d'un moi ou d'une personne.


L'objection empirique revient à se demander pourquoi on fait passer entre les évènements éparpillés de la vie d'un homme un fil invisible par lequel on les rattache à la même personne. Grâce à ce fil, la personne serait identique à elle-même à travers la diversité des impressions sensibles.

Hume répond que l'idée d'identité (en général) naît d'une confusion, d'une erreur, contre laquelle nous ne pouvons rien faire : en effet, dans notre manière courante de penser, nous confondons facilement deux sortes d'idées pourtant bien différentes.


Hume, TNH, I, IV, vi, §6

Nous avons une idée distincte d'un objet qui reste invariable et ininterrompu à travers une variation supposée du temps; cette idée, nous l'appelons idée d'identité ou du même. Nous avons aussi une idée distincte de plusieurs objets différents qui existent successivement et sont unis les uns aux autres par une relation étroite; cette succession apporte à une vue attentive une notion de diversité aussi parfaite que s'il n'y avait aucune manière de relation entre les objets. Or, bien que ces deux idées d'identité et de succession d'objets reliés soient en elles-mêmes parfaitement distinctes et même contraires, il est pourtant certain que, dans notre manière courante de penser, nous les confondons généralement l'une avec l'autre. L'action de l'imagination, par laquelle nous considérons l'objet ininterrompu et invariable, et celle, par laquelle nous réfléchissons à la succession des objets reliés, sont presque identiques à la conscience; et il ne faut pas beaucoup plus d'effort de pensée dans le deuxième cas que dans le premier. La relation facilite la transition de l'esprit d'un objet à un autre et rend son passage aussi égal que s'il contemplait un seul objet continu. Cette ressemblance est la cause de la confusion et de la méprise et elle nous fait substituer la notion d'identité à celle d'objets reliés. Certes, à un moment, nous pouvons considérer la succession liée comme variable ou interrompue, mais, au suivant, certainement nous lui attribuons une parfaite identité et la regardons comme invariable et ininterrompue.

La ressemblance indiquée ci-dessus nous pousse si fort à cette méprise que nous y tombons avant d'y prendre garde; et, bien que, sans cesse, nous nous corrigions par la réflexion et que nous revenions à une méthode plus soigneuse de penser, nous ne pouvons pourtant pas soutenir longtemps notre philosophie, ou arracher ce penchant de notre imagination. Notre dernière ressource est d'y céder et d'affirmer avec confiance que ces différents objets reliés sont effectivement identiques en dépit de leur interruption et de leur variabilité. Pour justifier à nos yeux cette absurdité, nous imaginons souvent l'existence d'un principe nouveau et inintelligible qui relie les objets les uns aux autres et s'oppose à leur interruption ou à leur variation.

Et nous pouvons noter en outre que, lorsque nous ne créons pas cette fiction, notre tendance à confondre l'identité et la relation est si grande que nous sommes portés à imaginer un quelque chose d'inconnu et de mystérieux qui unisse les parties en sus de leur relation; c'est le cas, je pense, de l'identité que nous attribuons aux plantes et aux végétaux. Et même quand cette imagination n'intervient pas, nous sentons encore une tendance à confondre ces idées, bien que nous soyons incapables de nous satisfaire pleinement sur ce point et que nous ne trouvions rien d'invariable ni d'ininterrompu pour justifier notre notion d'identité.


1) d'un côté, nous avons une idée de diversité, qui nous sert à parler des objets (ou perceptions) qui sont différents, et/ou qui existent successivement, ou qui ont entre eux une relation (même étroite), comme par exemple la ressemblance

2) de l'autre, nous nous servons de l'idée d'identité, qui désigne un seul, un unique objet, malgré les variations qu'il subit.

Pour Hume, nous avons seulement affaire, nous l'avons vu, à des objets ou perceptions différentes, il n'y a jamais aucun objet ou impressions simple et invariable. Ie : si des perceptions (différentes par définition) se suivent l'une l'autre, même si elles se ressemblent, si elles se suivent d'une manière assez stable et constante, on ne devrait pas dire qu'elles forment quelque chose d'identique, mais qu'elles sont une diversité.

Or, que se passe-t-il? Dans le train de la vie quotidienne, nous ne faisons pas assez attention à cette diversité : nous sommes plutôt entraînés à confondre la première idée avec la seconde, à croire que c'est la même chose. (Car nous n'avons ni besoin ni vraiment le temps de réfléchir à ce qui se passe). Ainsi croyons nous facilement et comme irrésistiblement que la succession d'objets ou de perceptions différentes, qui ont entre eux une certaine relation, est en fait un unique objet, invariable, ininterrompu, simple, etc.

Les deux idées ont donc sur l'esprit le même effet : il ne voit pas, psychologiquement, la différence. Pour Hume, nous sommes faits de telle sorte que l'idée de diversité produit sur nous le même effet que celle d'identité : "la relation facilite la transition de l'esprit d'un objet à un autre et rend son passage aussi égal que s'il contemplait un seul objet continu".

Là où réellement nous avons affaire à des objets différents mais reliés entre eux, nous croyons toujours avoir affaire à quelque chose d'identique. Hume parle à ce propos d'un "penchant de l'imagination" : autre façon pour lui de parler de "nature humaine".

Thèse naturaliste : pour lui, nous sommes faits de telle sorte que nous ne pouvons faire autrement que de croire à l'identité. C'est un penchant universel contre lequel nous ne pouvons rien faire. La nature nous impose certaines croyances et il serait vain d'essayer de ne pas les avoir. Mais, c'est de l'ordre de l'inclination, de la croyance, de l'habitude , mais ça ne correspond à rien dans le réel : c'est injustifiable, non rationnel. Seul moyen de dire que ça l'est : ça sert à nous adapter au monde qui nous entoure (sans doute avantage de la sélection naturelle).

   Résumé de l'argumentation :

(1) tout ce dont nous sommes conscients (série de perceptions) est variable et interrompu

(2) mais on pense/croit qu'il y a quelque chose d'autre (la substance) qui demeure invariable et ininterrompu à travers ces changements; les accidents qui sont inhérent à cette substance changent, alors que la substance demeurerait une et la même.

La notion de substance est donc invention car tous les objets que nous considérons comme ayant une identité continue ne sont en réalité rien d'autre que des successions de perceptions reliées entre elles par la ressemblance. La "substance" est inintelligible (car rien n'y correspond) et non nécessaire (car c'est une opération de la pensée qui remplace la fonction de la substance. L'opération consiste en un passage de la pensée le long d'une série de perceptions reliées mais différentes est si régulier et sans effort que nous le confondons avec une vision continue du même objet.

Hume nous explique comment, selon lui, il est possible que nous ayons un sentiment de l'identité qui ne correspond à rien de réel. Mais c'est une explication qui vaut de toute chose en général. Voyons maintenant comment cela peut rendre compte de notre sentiment d'identité personnelle, donc, de l'identité que nous ressentons à l'égard de nous-mêmes.

Comment en venons nous à dire que nous sommes un seul et même homme, que, par exemple, l'adulte que je suis est cet enfant qu'on me montre en en photo, et qui certes, peut me ressembler, mais semble différent de ce que je suis aujourd'hui (au moins par la taille) ? Ou que par exemple que moi qui aujourd'hui déteste les épinards les adorait hier (perceptions différentes), ou moi qui aime Mozart et me rappelle l'avoir toujours adoré, ou qui me rappelle avoir déjà entendu telle musique (perception ressemblante à celle que j'ai actuellement) ? Ou que moi qui ne me rappelle plus où j'étais ni si j'étais à certains moments, suis pourtant une seule et même personne existant de façon continue, et n'ayant pas cessé d'être durant ces intervalles ou oublis ?

Pour Hume, nous ne sommes qu'un faisceau ou une collection de perceptions différentes qui se succèdent les unes aux autres avec une rapidité incroyable… Tous les évènements qui nous arrivent existent de façon discontinue, car elles sont variables, et cessent à chaque moment d'exister, pour laisser place à un autre.

Nous devrions donc avoir de nous-mêmes une idée de diversité et dire que nous sommes multiples, différents à chaque moment, jamais le même. Or, c'est tout le contraire qui se passe : nous avons le sentiment, d'être une seule et même personne tout au long de notre vie. Comment en venons-nous à croire que nous sommes un "moi", une substance?

Hume dit qu'il faut faire appel, certes, à l'imagination, mais aussi à deux des relations naturelles qui servent à l'homme à relier entre elles les perceptions différentes. Ces deux relations sont celles de la ressemblance et celle de la causalité, et tout autant sinon plus que l'imagination, elles font appel à la mémoire.

Comment nos perceptions se ressemblent ?

Nos perceptions nous apparaissent comme ayant un certain lien entre elles, comme étant "reliées" : la différence entre nos perceptions des évènements est à peine sentie.

Cela se passe dans l'esprit, et donc avec l’aide de la mémoire : cela signifie que nous nous souvenons de certaines perceptions passées, qui ont un lien avec les perceptions présentes

Mais cela ne suffit pas à rendre compte du sentiment d'identité que nous avons à l'égard de nous-mêmes. En effet, repartons du fait que nos perceptions, certes semblables, ou ressemblantes, existent de façon discrète et interrompue : on voit bien alors que la ressemblance n'est pas assez, car nous ne nous souvenons pas de tout ce qui arrive. Il y a des vides, des intervalles, au sein de cette relation, si bien que nous ne pouvons pas encore être amené à la prendre pour relation d'identité. Pourtant, il faut bien en rendre compte, il faut trouver ce qui comble les intervalles, car nous disons bien que l'absence de souvenirs ne signifie pas que nous avons cessé d'être dans ce "trou" de la série de perceptions reliées entre elles par lien de ressemblance.

Le lien de causalité

Hume fait alors appel au lien de causalité : c'est lui qui fait tout le travail. 
"Par lien de cause à effet, en effet, nous pouvons faire de la relation encore assez lâche, une unique chaîne causale, un seul et même être persistant à travers le temps. En effet, par cette relation, nous pensons à nous-mêmes comme existant durant les intervalles, pendant moments dont nous ne souvenons pas."

Bref : l'esprit glisse facilement, de nouveau, le long d'une unique chaîne causale, et par là, nous mène à supposer que les "membres" de la chaîne dont nous ne nous souvenons plus ont néanmoins existé durant ces intervalles.

Par suite, on croit qu'on a effectivement affaire à des objets persistants, non à des perceptions variables et discontinues. On est porté à croire que quelque chose "un moi" unit les parties, en plus de la relation.

Hume nous dit que c'est une tendance universelle de la nature humaine, contre laquelle nous ne pouvons pas faire grand-chose. Pour lui, ce qui est impardonnable, c'est que les philosophes présentent comme vérité ce qui n'est que croyance, qu’illusion de l'imagination. Ils ne font que baptiser alors d’un nom savant l’illusion que serait une conscience autonome comme "âme", "moi", "substance".

Conclusion 

La conséquence philosophiquement la plus grave de notre tendance à confondre l’unité et la diversité, est qu’elle nous conduit donc à postuler l’existence d’entités mystérieuses qui seraient le "moi", la "conscience profonde", le "for intérieur".

Ce qui gêne Hume dans les théories substantialistes de la conscience est qu'elles localisent les conditions de l'identité personnelle dans quelque chose d'invérifiable.  Il faudrait pouvoir prouver, pour y adhérer, que âme=substance immatérielle. Mais les preuves sont impossibles à produire.

En montrant que la conscience n'est pas première, mais construite par des procédés, Hume, critique de façon radicale les postulats des philosophies  de la conscience (par exemple : la saisie immédiate de ses propres pensées, le moi qui existerait au-delà des impressions qu'il a). Il démontre que la conscience n'est pas une réalité donnée à priori, mais une construction d'illusion.

La critique par Hume de la substantialité et de la saisie intuitive du moi a deux principes empiriques.
- ce qui existe, ce ne sont que des impressions atomiques différentes et discernables,
- un objet n'est que la somme de ses propriétés construites à partir des impressions

Descartes ne répondrait-il pas à Hume que si nous sommes des collections de qualités changeantes et évanouissantes, sans substance ou moi substantiel sous-jacent, alors, nous ne sommes plus rien du tout (en tout cas, notre vie n'a plus aucun sens, ce n'est plus une vie humaine à proprement parler)

Comment dépasser la contradiction entre les thèses de Descartes et de Hume ?

Est-on obligé d'adhérer à la thèse selon laquelle la référence de toutes nos idées à la première personne « JE » serait un certain moi immatériel, une entité simple 

Comment, autrement que Hume,  peut-on rendre compte du fait que je dise que je suis la même personne que quand j'étais enfant, sans cette mystérieuse substance ? Sans elle, je ne me rappellerais ni les pensées que j'avais enfant, ne ce que j'ai fait : alors, où se trouve de quoi assurer la continuité, si ce n’est pas cette substance ?



Idées particulières et mots généraux : le rôle de la coutume

Voilà un beau paradoxe philosophique : Hume nie que nous ayons des idées générales ou abstraites : ce qu’on appelle un concept n’est rien ! Il n’y a que des idées particulières ou images, et des mots généraux qui les évoquent, mais auxquels ne correspondent pas de représentations générales.

TNT, Livre I, l’entendement, Section VI – les idées abstraites
…Le mot fait surgir une idée individuelle et conjointement une certaine coutume, cette coutume produit toute autre idée individuelle qui peut nous être utile. Mais comme la production de toutes les idées, auxquelles le nom peut s'appliquer, est impossible dans la plupart des cas, nous abrégeons ce travail en limitant notre examen ; et, trouvons-nous, peu d'inconvénients résultent pour notre raisonnement de cet abrègement.

Car c'est l'une des plus extraordinaires circonstances, dans le cas présent, qu'une fois que l'esprit a produit une idée individuelle, sur laquelle nous raisonnons, la coutume conjointe, éveillée par le mot abstrait ou général, suggère promptement une autre idée individuelle, s'il se trouve que nous formions un raisonnement qui ne s'accorde pas avec celle-ci. Ainsi, si nous mentionnons le mot triangle et formons l'idée d'un triangle équilatéral particulier pour lui correspondre et qu'ensuite nous affirmions que les trois angles d'un triangle sont égaux entre eux, les autres idées individuelles de triangles scalènes et de triangles isocèles, que nous négligions d'abord, s'assemblent aussitôt en nous et nous font voir la fausseté de cette proposition, en dépit de sa vérité à l'égard de l'idée que nous avions d'abord formée. Si l’esprit ne suggère pas toujours ces idées en temps voulu, c’est une conséquence de quelque imperfection de ses facultés ; et des semblables imperfections sont souvent causes d’erreurs de raisonnements et de sophismes. Mais cela se produit surtout pour les idées abstruses et complexes. Dans les autres cas, la coutume est plus complète et il est rare que nous tombions dans de pareilles erreurs.

Oui, si complète est la coutume que la même idée exactement peut être liée à plusieurs mots différents et employée en des raisonnements différents sans crainte de méprise. Ainsi l’idée d’un triangle équilatéral haut d’un pouce peut nous servir à parler d’une figure, d’une figure rectiligne, d’une figure régulière, d’un triangle et d’un triangle équilatéral. Donc, dans cet exemple, tous ces termes s’accompagnent de la même idée ; mais, come on a l’habitude de les employer avec plus ou moins d’étendue, ils éveillent leur habitude propre et, par là, ils mettent l’esprit en état de veiller à ce que ne soit formée aucune conclusion contraire au idées ordinairement comprises sous eux.

Avant que ces habitudes ne soient devenues entièrement parfaites, l’esprit peut sans doute ne pas se contenter de former l’idée d’un seul objet individuel, et il peut passer sur plusieurs idées pour se faire comprendre sa propre intention et l’étendue de la collection qu’il veut exprimer par le terme général.
Pour fixer le sens du mot figure, nous pouvons rouler dans notre esprit les de cercles , carrés, parallélogrammes, triangles de différentes tailles et proportions et ne pas nous fixer sur une seule image ou idée. Quoi qu'il en soit, il est certain que nous formons l'idée d'êtres individuels chaque fois que nous employons un terme général ; que, rarement ou jamais, nous ne pouvons épuiser ces cas individuels ; et que ceux qui restent sont seulement représentés par cette habitude, qui nous permet de les rappeler, chaque fois que l'exigent les circonstances du moment. Telle est donc la nature de nos idées abstraites et de nos termes généraux ; et c’est de cette manière que nous expliquons le paradoxe précédent, que les idées sont particulières par leur nature et générales par ce qu’elles représentent. Une idée particulière devient générale quand on l'unit à un terme général ; c'est-à-dire, à un terme qui, par conjonction habituelle, a rapport à de nombreuses autres idées particulières et les rappelle promptement dans l'imagination.

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